Disclaimer 1 : ce récit est une fiction ! Toute analogie spécifique avec le réel n’est que fortuite…

Disclaimer 2 : cet article n’est pas à destination unique des fans de Game of Thrones !

La provenance d’un vêtement est d’une importance cruciale lorsque l’on choisit de s’intéresser aux questions sociales, écologiques, ou économiques. Pour obtenir cette information, on se réfère à la fameuse étiquette made in …. (fabriqué à …) qui indique généralement le lieu de transformation finale d’un vêtement ; le lieu de confection exclusif ou partiel.

Si pour certains produits de consommation, l’information indiquant la provenance finale est « suffisante », la chaine d’approvisionnement du textile est souvent trop complexe pour être limitée à cette donnée. Entre le lieu de récolte ou de fabrication de la matière première, le lieu de filature (transformation de la fibre en fil), le lieu de tissage (fabrication du tissu), le lieu de confection (fabrication du vêtement) et le lieu de vente, ce sont souvent plusieurs pays et continents qui interviennent dans la chaine d’approvisionnement d’un seul vêtement. Selon Oxfam, on estime qu’un jean peut parcourir jusqu’à 65 000 km jusqu’au consommateur final, soit 1,5 fois le tour du monde.

En utilisant l’univers fantastique de George R.R. Martin, nous allons réécrire l’histoire d’une tunique en coton made in Port Réal…

 

En l’an 297, Jamie Lannister se promène dans les rues de Port-Réal pour se trouver une nouvelle tunique qu’il arborera fièrement à la cour. Après une heure de balade dans les rues sillonnées de la cité des rois, il tombe sur une échoppe qui vient d’ouvrir : « Les tuniques made in Port-Réal ». Jamie est super content, il en plus que marre d’acheter du made in Qarth... et comme c’est un chevalier d’une grande conscience, il trouve dommage que tant d’esclaves soient exploités pour fabriquer et transporter les tuniques jusqu’à Port-Réal. Jamie est un Lannister, il achète donc 150 tuniques pour son usage personnel, qu’il paye comptant, évidemment !

 

Les tuniques made in Port-Réal

Sur demande de la reine, un enquêteur royal part en mission afin de rapporter les mérites de cette nouvelle échoppe. Pour cela, il décide de s’entretenir avec le nouveau start-upper à succès de la région :

Enquêteur royal : La reine Cersei sera enchantée d’apprendre que nous produisons à nouveau sur notre sol ! Pouvez-vous nous en dire plus sur l’origine de vos tuniques ?

Gendry (le tuniquier) : Bien évidemment ! Nos tuniques sont fabriquées dans notre atelier situé au Sud de Port-Réal, sur la route d’Accalmie.

Ni une ni deux, l’enquêteur se met en route pour la fabrique de tunique.

Carte de Westeros-Essos. Focus sur l'atelier de fabrication des tuniques Made in Port-Réal situé au sud de la capitale du royaume.

L’enquêteur découvre un très bel atelier où plus de 70 confectionneurs travaillent en chantant. Il demande à parler avec le chef d’atelier :

Enquêteur royal : Combien de tuniques fabriquez-vous chaque jour ?

Robert (le chef d’atelier) : Nous produisons 10 tuniques par jour, soient plus de 3000 tuniques par an. Nous arrivons à fournir 13% de la demande de Port-Réal (étude de l’INSEE 2019), soit presque l’intégralité de la garde-robe de Sir Jamie Lannister.

Enquêteur royal : Pourquoi ne pas en produire davantage ?

Robert : Malheureusement, nos tuniques sont plus chères que celles produites à Essos et tous les habitants n’ont pas les moyens d’en acquérir une. Par ailleurs, si nous empiétons trop sur les exportations d’Essos, ces derniers risquent d’arrêter de nous vendre du tissu…

Enquêteur royal : Fabriquez donc votre propre tissu !

Robert : Il faudrait faire une étude de marché… Pour le moment nous importons 100% de nos tissus de Volantis (ville portuaire du continent d’Essos).

L’enquêteur royal comprend que pour satisfaire la reine, il va devoir voyager un petit peu.

 

Volantis : La fabrique de tissu de Port-Réal

Carte de Westeros-Essos. Chemin de Port-Réal à Volantis vers l'usine de tissage d'Essos, exportatrice de tissus vers les fabriques de Westeros.

Enquêteur royal : Une belle affaire que vous tenez là !

Xerox (responsable du tissage) : A qui le dites-vous ! Nous sommes le plus gros exportateur de tissu du continent et nous continuons de grossir année après année.

Enquêteur royal : Comment expliquez-vous cette belle réussite ?

Xerox : Volantis a une connexion directe avec Qarth (cité d’esclaves située à l’est du continent d’Essos), ils nous vendent le fil le moins cher du continent !  

L’enquêteur royal murmure dans sa barbe « encore trois semaines de cheval pour atteindre Qarth, ça commence à me gonfler ».

 

Qarth : la cité du fil de coton

Carte Westeros-Essos. Montre le chemin de Volantis (atelier de tissage) vers Qarth, le lieu de filature.

Après trois semaines de trajet, l’enquêteur est un petit peu à cran… Il essaie d’expédier cette énième rencontre.

Enquêteur royal : Bon ! Pourquoi tout Volantis s’approvisionne en fil chez vous ?

(Quelqu’un qui travaille au lieu de filature) : Cher monsieur, pour la simple est bonne raison que nous avons le coton le moins cher du continent. 

Enquêteur royal : Comprends pas…

(Le même) : 51% de la culture MONDIALE de coton était tenue par les Dothrakis à Vaes Dothrak (bourgade situé au Nord-Est du continent d'Essos). Nous avons décimé les Dothrakis et accaparé toutes les cultures de coton !

Cette fois-ci, nul besoin de se rendre à Vaes Dothrak pour comprendre. Et puis, l’enquêteur royal n’a pas très envie de poursuivre son aventure pour être honnête avec vous. Il rebrousse chemin pour aller délivrer son message à la reine.

Enquêteur royal : Ma reine, je reviens d’une grande expédition qui m’a mené jusqu’à Vaes Dothrak dans le Nord-Est d’Essos. Ma conclusion est la suivante : sans ré-industrialiser Westeros, en investissant dans les unités de tissage, de filature et dans les exploitations agricoles, nous ne serons jamais capables de produire vraiment local !

La reine Cersei ne s’embêta pas à répondre à l’enquêteur, elle le fit exécuter pour économiser sa voix…

 

Annexe : Découvrez le trajet des tuniques made in Port-Réal

Le trajet d'une tunique en coton à travers de continent. Depuis le lieu de culture et de récolte du coton; vers le lieu de filature; vers le lieu de tissage; vers le lieu de confection; puis vers les différents points de vente.

 

Morale de l’histoire

Le transport final d’un vêtement (du lieu de confection vers le lieu de vente) est responsable d’une faible proportion de l’empreinte écologique de l’industrie textile. Cependant, les chaines d’approvisionnement actuelles font souvent faire plusieurs tours du monde à notre garde-robe… C’est pourquoi il est urgent de re-centraliser les lieux de production et de diminuer drastiquement les allers-retours en amont de la chaine de valeur !

 

Sources :

INSEE 2019 : Le « made in France » : 81% de la consommation totale des ménages, mais 36% seulement de celle des biens manufacturés

Citation 1 : « Cette part [bien importés] est même de 87% pour la consommation de textiles »

Citation 2 : « Les importations textiles proviennent à 36% de la Chine »

Pietra Rivoli : Les aventures d’un tee-shirt dans l’économie globalisée

Citation 1 : « Un tee-shirt voyage en moyenne 40 000 km avant que vous puissiez le porter »

Citation 2 : « Le Made in France, ce n’est pas toujours l’assurance d’un bilan carbone réduit »

Citation 3 : « En effet, il s’agit bien d’un article de fabrication française mais les matières premières ont peut-être été cultivées, tissées, collectées ailleurs qu’en France »

Chaussettes Orphelines 

Citation : « D’après ses calculs [Pietra Rivoli] et ceux de l’ADEME, le transport représente entre 3 et 5% de l’impact du vêtement »

ADEME 2022 : Le revers de mon Look

Extrait d'un document de l'ADEME. Itinéraire d'un Jean sur sa chaine d'approvisionnement.

 

 Sofiane Bouhali pour Azala 

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