Résumé
- À retenir : l'industrie de la mode émet autant de CO2 qu'un pays du G7.
- L'abondance énergétique a maintenu l'industrie textile dans un modèle de production linéaire : production, utilisation, puis destruction. Modèle qui a permis une réduction des coûts et des prix, mais qui demeure inefficient du point de vue environnemental.
- L'industrie de l'habillement est victime d'un effet rebond énergétique : en dépit des conditions énergétiques avantageuses et d'un marché porteur, et malgré la digitalisation ayant donné la seconde main, le taux d'utilisation de nos habits est en constante baisse.
- Un peu d'espoir : les acteurs de l'industrie ont mis au point des nouvelles méthodes visant à réduire le bilan carbone des vêtements.
- L'upcycling et la réutilisation des chutes : un moyen efficace de transformer l'industrie et de réduire son impact.
- Fabriquer moins sans détruire de la valeur : les nouveaux business-models à impact de l'industrie de la mode.
1 - L'industrie de la mode émet autant de CO2 qu'un pays du G7
D'après une étude Quantis (BCG), l'induite textile dans son ensemble (de la production à la distribution), représente 8% des émissions globales de gaz à effet de serre (2016), soit autant qu'un pays comme la France (c.4 millions de tonnes équivalent CO2). En outre, ces émissions sont équivalentes à celle du transport aérien mondial et maritime combiné chaque année.
Contrairement aux à priori, ce ne sont ni le transport, ni la distribution qui pèsent le plus lourd dans le bilan carbone de l'industrie. En effet, une partie significative de l'impact environnemental est issue de la phase amont de production. La filature et la teinture, ou le blanchiment représentent à eux seuls respectivement 28% et 36% du total des émissions du secteur, du fait de l'énergie importante nécessaire pour chacune de ces étapes. De plus, l'Inde, la Chine ou le Bangladesh qui sont parmi les plus grands producteurs possèdent un mix énergétique largement dépendant des énergies non renouvelables (charbon et gaz naturel).
2 - L'abondance énergétique a maintenu l'industrie textile dans un modèle de production linéaire : production, utilisation, puis destruction. Modèle qui a permis une réduction des coûts et des prix, mais qui demeure inefficient du point de vue environnemental
L'industrie textile est construite sur un mode de production et de consommation linéaire : utilisation de ressources non renouvelables extraites pour la fabrication des vêtements qui sont sous-utilisés dans le temps, puis souvent jetés ou détruits. En toute logique, ce modèle incite à sur-produire et donc à surconsommer, du fait des faibles coûts de main d'oeuvre et de matières premières. L'abondance des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) est directement corrélée à ces faibles coûts. En outre, l'amont de la chaine de valeur n'encourage pas la réutilisation des matériaux au vue des prix de production.
Ce phénomène a pour effet que seuls 1% des matériaux de production sont recyclés pour (re)fabriquer de nouveaux vêtements. Sujet déjà exploré chez Azala, la quantité de tissus jetée avant même d'avoir été utilisée est immense, près de 60 milliards de mètres carrés de tissus sont jetés chaque année dans le cadre de la production de tissus (soit entre 15 et 20% du volume de tissus fabriqués). Cette immense perte est également un révélateur des améliorations et optimisations possibles, notamment en changeant la méthode d'arbitrage au-delà du facteur prix. Logiquement, cette nouvelle économie aura besoin de plus en plus de profils formés à ces nouvelles compétences et à ces nouvelles contraintes. Des acheteurs responsables ou encore responsible supply chain manager seront au coeur du processus de transformation, en modifiant leurs grilles de choix des fournisseurs et de matériaux afin de prendre en compte les externalités négatives de la production industrielle des vêtements (coût de l'énergie, rejets de CO2, etc.).
3 - L'industrie de l'habillement est victime d'un effet rebond énergétique : en dépit des conditions énergétiques avantageuses et d'un marché porteur, et malgré la digitalisation ayant donné la seconde main, le taux d'utilisation de nos habits est en constante baisse
L'abondance des énergies primaires abordables dans les pays producteurs, couplée à la massification de la production dans ces mêmes pays, a permis de faire considérablement baisser les coûts de fabrication et les prix des produits. Bien que la part du budget des ménages consacrée aux vêtements a constamment baissée depuis 1960 (de 9% en 1960 à 3% en 2015), la baisse des prix n'a pas totalement été intégrée (voir graphique ci-dessous). De la même manière, si la baisse des coûts est en partie répercutée sur les prix, les volume d'achats globaux ont continué d'augmenter. Autrement dit, la baisse des prix a eu pour conséquence de faire augmenter la quantité de produits achetés par les consommateurs. Ce qui implique que les produits sont moins portés, et que les émissions de l'industrie ont drastiquement augmentées.
Constat supplémentaire, l'arrivée de la digitalisation avec des plateformes d'échange telles qu'Ebay, Leboncoin ou Vinted plus récemment n'ont absolument pas permis d'inverser la tendance (augmentation des volumes fabriqués et vendus). Encore une fois, la réduction des coûts et l'accessibilité (expérience utilisateur) a participé à la hausse globale de la consommation. D'après le BCG, 70% des utilisateurs des plateformes revendraient leurs produits en seconde main de manière à augmenter leur pouvoir d'achat sur le marché du neuf, en dépit de la démarche RSE de ces plateformes.
4 - Un peu d'espoir : les acteurs de l'industrie ont mis au point des nouvelles méthodes visant à réduire le bilan carbone des vêtements
Le constat écologique implacable a incité les industriels à innover, en partie sous la contrainte des marques engagées dans leur propre transition. Les mesures les moins onéreuses en termes financiers ou techniques ont été les premières à voir le jour, parce que la contrainte du prix imposée par les donneurs d'ordre ne semble pas avoir évoluée. Ces prix toujours aussi bas rendent la transformation de l'industrie difficile. Pour autant, certains acteurs ont trouvé des solutions innovantes, à l'instar de Décathlon, en partenariat avec ses fournisseurs asiatiques, qui a mis au moins une technique de teinture à froid, réduisant significativement le besoin énergétique du procédé.
Pour cela, Décathlon a nommé un responsable supply chain en charge des achats bas carbone et des nouveaux procédés de fabrication. Un métier d'avenir. Les exemples d'innovations sont nombreux. Un nouveau procédé de teinture, pour la fabrication de la doublure intérieure d'une doudoune a permis de diminuer les émissions carbone de 40% et de 66% pour celles des particules fines PM 2.5 ppm.
5 - L'upcycling et la réutilisation des chutes : un moyen efficace de transformer l'industrie et de réduire son impact
Les innovations visant à décarboner l’industrie textile sont nombreuses et sont segmentées sur toutes les étapes de la chaîne de valeur de l’industrie de la mode (filature, tissage, confection, vente, recyclage / upcycling). Comme évoqué plus haut, le recyclage des vêtements est au cœur des préoccupations écologiques car la fabrication et la transformation de matières premières représente en moyenne près de 80% des émissions carbones d’un vêtement. De ce fait, notre capacité à concevoir de nouveaux produits à partir de matière existante peut avoir un impact significatif sur le bilan de l’industrie. L’upcycling (ou surcyclage en français) est le nom du processus décrivant la transformation de vêtements usagés ou de chutes de tissus en vêtements neufs. Ce processus a l’avantage d’agir sur tous les maillons du cycle de vie d’un vêtement : il se substitue en partie à la fabrication de matières premières et permet de réimporter une partie de la fabrication dans les zones où l'électricité est la moins carbonée. En outre, le recyclage des chutes de tissus ou des vêtements usagés permet d’agir directement sur la quantité de déchets produits.
6 - Fabriquer moins sans détruire de la valeur : les nouveaux business-models à impact de l'industrie de la mode
Si des solutions existent pour rendre l’industrie du textile plus en phase avec les enjeux de transition écologique, il n’en demeure que la diminution de la consommation globale est inéluctable. Une partie substantielle de nos vêtements est portée moins de 10 fois avant d’être jetée, donnée, perdue ou revendue. Ce constat incite à réfléchir à des moyens d’actions pour favoriser l’allongement de la durée d’utilisation des produits textiles. Du point de vue des consommateurs, la réponse semble simple et vise à orienter l’acte d’achat vers une consommation de meilleure qualité, tout en favorisant la circularité des vêtements, via la revente ou le don.
Du point de vue des industriels et des enseignes, des possibilités existent pour construire des business-models plus vertueux (à la condition qu’ils n’engendrent pas d’augmentation des ventes via l’effet rebond des économies réalisées vers plus d’achats neufs) : pré-commande, location de vêtements, revente des seconds-choix, recyclage / upcycling, etc. Cette liste non exhaustive de “nouveaux” business-models va dans le sens d’une économie plus circulaire et moins carbonée. En effet, les marques ont tout intérêt à réfléchir à des modèles viables sur l'entièreté de la durée de vie de leurs produits afin de continuer à créer de la valeur sans produire davantage.
L’industrie de la mode se trouve dans l’absolue nécessité de se transformer pour répondre aux enjeux du climat. Si le bilan carbone de l’industrie est très important, il existe de nombreuses solutions viables permettant de diminuer les émissions de gaz à effet de serre induites. En ce sens, il est nécessaire de considérer un vêtement par son empreinte globale, au-delà du prix. Du point de vue des acheteurs, la tendance d’une consommation plus eco-friendly est de plus en plus prégnante, et du point de vue des pouvoirs publics, il semble nécessaire d’appuyer cette tendance en tenant compte de la pollution importée dans la taxation des produits; de manière à refléter un prix juste en ce qui concerne les considérations écologiques.
En outre, au-delà du bilan carbone de l’industrie, les moyens visant à fabriquer moins de matières premières doivent permettre de significativement limiter la destruction de la biodiversité directement liée à la fabrication de vêtements (micro-particules, pollution des eaux, déforestation, etc…).
Joseph Hermet pour KLIMA School et Sofiane Bouhali pour Azala